La multiplication des procès pour inaction climatique marque une étape supplémentaire des mobilisations pour la protection de l’environnement. En quoi consistent ces procès ? Qui mettent-ils en accusation ? Leurs effets ne sont-ils que symboliques ?
À propos de : Marta Torre-Schaub, Justice Climatique : Procès et actions, CNRS éditions
La multiplication des procès pour inaction climatique marque une étape supplémentaire des mobilisations pour la protection de l’environnement. En quoi consistent ces procès ? Qui mettent-ils en accusation ? Leurs effets ne sont-ils que symboliques ?
En France, l’affaire du Siècle, dans laquelle un groupe d’ONG a notamment reproché à l’administration française de ne pas faire assez pour lutter contre le dérèglement climatique, a mis les procès climatiques au premier plan de l’actualité médiatique. Après deux ans d’instruction, le tribunal administratif de Paris a jugé, en février 2021, l’État français coupable de « carences fautives […] en matière de lutte contre le réchauffement climatique ». Si ce jugement est sans aucun doute historique, ce n’est ni le seul ni le premier litige en matière climatique. En effet, les dernières années ont vu une croissance remarquable d’actions en justice climatique. On en compte aujourd’hui des centaines dans le monde entier, du Pakistan aux Pays-Bas, des États-Unis à l’Australie.
C’est ce phénomène de judiciarisation du climat et d’activisme judiciaire qu’étudie Marta Torre-Schaub dans ce court recueil Justice Climatique : Procès et actions. L’auteure est directrice de recherche à l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (ISJPS) et directrice et fondatrice du Réseau Droit et Changement Climatique, et elle a déjà publié plusieurs ouvrages au sujet de la justice climatique, la jurisprudence et le changement climatique.
Selon Marta Torre-Schaub, mobiliser le droit permet à la société civile et au mouvement pour la justice climatique de sortir du cadre des négociations onusiennes sur le climat, et de sensibiliser un public plus large sur la question. Mais en quoi consistent les procès climatiques ? En l’absence de définition précise, l’ouvrage les décrit comme tout litige soulevant « une question de fait ou de droit concernant la substance ou la politique des causes et des impacts du changement climatique » (p. 16). Cette définition inclut des litiges plutôt symboliques comme l’affaire du Siècle qui ont pour but surtout la médiatisation et la mise sous pression des décideurs, aussi bien que des actions qui cherchent à obtenir des résultats concrets, comme l’annulation des activités nuisibles pour le climat (telles que l’exploitation minière ou un projet d’aéroport). Enfin, des actions pénales peuvent également entrer dans la catégorie des procès climatiques, comme dans le cas des « décrocheurs » des portraits d’Emmanuel Macron (on y reviendra).
Le livre présente brièvement plusieurs de ces litiges, démontrant ainsi la grande diversité des procès climatiques, en termes d’objectifs, de portée géographique, de droits invoqués ou d’accusés concernés. Afin de rendre compte de cette diversité, l’auteure propose une typologie des procès climatiques, mais sans pour autant l’appliquer de manière systématique. Elle distingue notamment les actions contre les acteurs publics et les actions contre les acteurs privés ; les actions fondées sur les droits de l’Homme et les droits fondamentaux et les actions fondées sur les droits de la Nature ; et enfin les procès fondés sur le droit substantiel et les procès relevant du droit pénal.
La discussion commence par l’affaire Urgenda, en raison de son impact pour le mouvement judiciaire en matière de climat en 2013. Dans cette affaire, l’ONG Urgenda, appuyée par 900 plaignants, a poursuivi en justice le gouvernement néerlandais qui n’aurait pas mis en œuvre des politiques de réduction de gaz à effet de serre adéquates, et aurait donc exposé la population aux risques et dangers du changement climatiques. Deux décisions ont été rendues, en 2015 et 2018, et ont été à chaque fois contestées par le gouvernement. En décembre 2019, la Cour de cassation des Pays-Bas a jugé le gouvernement responsable de son inaction, et l’a condamné à réduire les émissions de gaz à effet de serre du pays d’au moins 25% par rapport aux émissions de 1990. Les parallèles avec l’Affaire du siècle sont évidents, l’affaire Urgenda étant considérée comme « un modèle pour la justice climatique » (p. 17) ayant inspiré d’autres ONG et campagnes.
Alors que les plaignants dans l’affaire Urgenda ont pris en partie appui sur les droits fondamentaux et les droits de l’Homme, d’autres décisions juridiques se basent sur les droits de la Nature. C’est le cas notamment en Amérique latine, où le fleuve Atrato s’est vu reconnaître depuis 2016 une « personnalité juridique ». [1] Dans la foulée, en 2018, une décision reconnaît par ailleurs l’Amazonie colombienne comme « sujet de droits ».
Outre l’État et les autorités publiques, des litiges climatiques impliquent particulièrement les entreprises privées, et notamment les grandes entreprises pétrolières comme Exxon Mobil, Royal Dutch Shell, ou Total. Si les actions menées contre Total sont probablement mieux connues en France, au niveau international, c’est surtout la plainte contre la compagnie électrique allemande RWE qui a reçu le plus d’attention bien que l’auteur n’y consacre que très peu de développement. Dans cette affaire, un agriculteur péruvien, M. Lliuya, soutenu par une ONG allemande, Germanwatch, a demandé à RWE de réparer les dégâts dus au changement climatique dans son village des Andes, au motif que RWE y aurait contribué via ses émissions de gaz à effet de serre considérables. Dans un premier temps, le tribunal avait considéré la plainte irrecevable, devant l’impossibilité d’attribuer les effets du changement climatique à un émetteur spécifique. C’est en effet toute la difficulté des litiges climatiques que d’établir un lien de causalité. Celui-ci est pourtant fondamental pour mener à bien des procès climatiques, et explique pourquoi si peu d’actions en justice climatique ont jusqu’ici obtenu gain de cause. Précisons néanmoins que les juges semblent de plus en plus inclinés à rendre la justice malgré les difficultés techniques et scientifiques. Dans l’affaire RWE, le tribunal a changé d’avis et a finalement jugé la plainte recevable en 2017. Si le livre ne revient pas sur les causes de ce revirement, il semble probable que la multiplication de ce type de décisions juridiques y soit pour quelque chose, marquant une tendance vers l’admissibilité de ce type de plaintes. D’ailleurs, certains juges semblent de plus en plus réceptifs à la cause climatique. L’auteur cite notamment un juge australien qui considère que la Cour a un devoir « de réagir et de faire quelque chose face à l’inaction et à l’apathie du gouvernement » (p. 20).
Enfin, cette inaction et apathie gouvernementales incitent parfois aussi des actions illégales. C’est notamment le cas de la campagne actuelle « Décrochons Macron ». Dans le cadre de cette campagne de désobéissance civile, des militants écologistes ont décroché plus de 130 portraits du président de la République dans des mairies un peu partout en France. Les décrocheurs, quant à eux, ont exhibé plusieurs de ces portraits à Bayonne en 2019 pour médiatiser non seulement leur cause, mais aussi les poursuites engagées contre les activistes. Le tribunal correctionnel de Lyon a toutefois acquitté les activistes dans une décision de 2019.
Malgré la grande diversité des contextes, on constate l’importance de la médiatisation et les débats politiques qui entourent les débats juridiques. C’est là un des éléments clés des procès climatiques ; la majorité des contentieux cherchent avant tout à médiatiser, à sensibiliser et à mobiliser. Torre-Schaub conclut donc que ces procès sont « un extraordinaire levier d’action et peuvent conduire nos sociétés vers une meilleure gouvernance du climat et une véritable transition » (p. 12).
Comme le montre l’Affaire du siècle, la cause climatique est désormais aussi débattue devant les juges, et il est donc opportun de familiariser/sensibiliser le grand public à ce sujet. Le petit livre de Marta Torre-Schaub présente donc en 77 pages une introduction très intéressante sur la question. Le livre est accessible et montre non seulement la grande diversité des actions en justice climatique mais aussi l’origine commune du mouvement judiciaire climatique, et les liens entre les divers litiges. Mais force est de constater que la concision l’emporte parfois trop sur la précision. À plusieurs reprises, on aurait aimé plus de détails, ou au moins des références et sources, trop rares. On note aussi parfois des imprécisions et des incohérences. Par exemple, l’auteur déplore l’intérêt « modéré, voire minimaliste, des diplomates » pour le rapport spécial du GIEC de 2018 (p. 29) lors de la Conférence du climat de Katowice, alors que c’était en l’occurrence l’Arabie Saoudite qui avait bloqué la considération du rapport, et non pas la totalité des diplomates comme suggéré. Une liste récapitulant tous les litiges qui sont mentionnés dans le livre, avec des sources complémentaires et leur statut actuel aurait également enrichi le récit.
Les procès climat se multiplieront, en France et ailleurs. Le verdict dans l’Affaire du siècle va certainement pousser d’autres initiatives à porter plainte contre les émetteurs et les régulateurs. Le champ du droit du climat reste dynamique. Justice Climatique : Procès et actions offre un très bon point de départ pour toute personne qui veut se familiariser avec ce champ et mieux comprendre les enjeux de la justice climatique et le droit qui s’y réfère.
par , le 29 mars 2021
Carola Klöck, « La planète devant les juges », La Vie des idées , 29 mars 2021. ISSN : 2105-3030. URL : https://booksandideas.net./Marta-Torre-Schaub-Justice-Climatique-Proces-actions
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[1] Il existe d’autres exemples de ce type de protection, comme par exemple le Whanganui en Nouvelle-Zélande, mais seul le cas de l’Atrato est mentionné dans l’ouvrage.